Comme j’aimais le dimanche, quand dans la R9 blanche de papa nous allions visiter la station. En famille on partait, mais jamais il n’avouait que c’était la station la vraie destination. Pour ce genre d’aventure il faut une couverture, une balade officielle un peu plus consensuelle. Un but pédagogique, un prétexte classique.
Une simple sortie de fin d’après-midi.
Marcher en contournant l’hippodrome ou l’étang, dire bonjour à grand-père dans l’allée du cimetière. Alors on y allait comme si de rien n’était, et puis sur le retour on faisait le détour.
Mieux que le vent d’été,
Que les embruns salés,
Mieux que l’herbe coupée,
Ô effluve adoré de la station d’épuration.
Pour vérifier une vanne, pour constater une panne ou par pure précaution, tout mobile était bon même après dix-neuf heures. Même le jour du seigneur, aller à la station c’était sa dévotion. Alors je jubilais.
Car avec lui, j’entrais dans l’inquiétant palais dont il avait les clefs. Devant les eaux stagnantes je me sentais vivante, dans l’odeur de moisi je me trouvais jolie. Je n’allais pas, enfant, regarder l’océan pour dans l’azur me perdre, mais au bord de la merde. Et sachez qu’en hiver, inhaler au grand air le ventre de la terre, on dirait du Baudelaire.
Mieux que le vent d’été,
Que les embruns salés,
Mieux que l’herbe coupée,
Ô effluve adoré de la station d’épuration.
Depuis ces heureux jours, je nourris un amour pur et immodéré pour les éviers bouchés, les restes de savon qui engluent les siphons, les cheveux par poignées qui obstruent les bidets. J’ai acquis la passion des canalisations.
Rien à mon cœur ne vaut la vue d’un château d’eau. Quand d’autres ont le dégoût des remontées d’égouts, je n’aime rien tant que leur doux parfum aqueux.
Qu’un lavabo douteux se présente à mes yeux, qu’une baignoire inonde le sol d’une eau immonde, j’ai la ventouse au poing et la technique au point. Intensément, j’aspire. On dirait du Shakespeare.
Mieux que le vent d’été,
Que les embruns salés,
Mieux que l’herbe coupée,
Ô effluve adoré de la station d’épuration.