Le corps et l’esprit
En capilotade,
Gravement malade,
Pierrot tient le lit ;
Et, dans sa demeure,
Colombine pleure
Lamentablement
Et prie humblement
Dieu d’être clément
Pour que son amant
Ne meure
Lors, un rayon blanc
De lune blafarde
Jette en la mansarde
Un éclat troublant,
Et Pierrot, qu'excite
L'albe trait, s'irrite
D'être en l'impouvoir
De mieux recevoir
Tanit qui, ce soir,
Lui fait, par devoir,
Visite
Et pauvre Pierrot
Que la mort tourmente,
Dicte a son amante
Cet ultime mot :
« Je, Pierrot, rétracte,
Par le présent acte,
Autre testament,
Ce seul document
De mes voeux formant
La teneur vraiment
Exacte
A mes créanciers,
Je lègue mes dettes
Avec les sornettes
De pas mal d'huissiers ;
Aux gens de justice,
Ma très protectrice
Farine de choix
Qui pourra , je crois,
Blanchir, maintes fois,
L'âme de ces rois
Du vice
Aux gens de bon ton
Et haute noblesse,
A ma mort je laisse
En précieux don :
Masque de croyance,
Masques d' indulgence
Et d'humanité ;
Gens de qualité
N'ont en vérité
D'aucune bonté
L'essence.
Aux rimeurs errants
Je lègue et confie
Mon arme : ironie,
Pour cingler les grands.
Au frère qui trâine
Et misère et peine
Par villes et champs,
Je donne mes chants
Dont les airs touchants,
Calment des méchants
La haine .
Je laisse mon coeur
A Colombinette
Tant que la pauvrette
N'aura coeur meilleur
J'approuve et je signe
Pierrot » Et, très digne,
Le mourant pâlot
A ce dernier mot
Renvoie au Très Haut
Son âme et son lot
De guigne
Lors, des rayons blancs
Jetés par Lucine
Frôlent Colombine
En zigzags tremblants ;
Et la gente brune,
En son infortune
Levant ses doux jeux,
Voit l'âme du gueux
Monter vers les cieux
Sur des rais neigeux
De lune