D’après les anciens Ecrits,
C’est au temps où, dans Paris,
La Duchesse Anne était Reine
Qu’un soir d’Automne éploré
Naquit auprès de Vitré
La Vilaine.
Il faut en faire l’aveu :
Elle était bossue un peu
Et boîtait à faire peine ;
Il suffisait de cela
Pour que chacun l’appelât :
"La Vilaine"" !
Or, un jour que dans les prés
La fille aux cheveux dorés
Cueillait l'humble marjolaine,
L'héritier du vieux Manoir
Frôla, sans même la voir,
La Vilaine !
Mais depuis ce maudit jour
La pauvresse aima d'amour
Le fils de la châtelaine ;
Et, rôdant aux alentours,
Depuis lors on vit toujours
La Vilaine !
Et quand le Seigneur hautain
Partit en guerre, un matin,
Pour agrandir son Domaine,
Auprès de son destrier
II vit, tendant l'étrier,
La Vilaine !
Bravant le sort hasardeux
L'Adoré pique des deux,
Suivi de son capitaine ;
Et l'on vit, près des chevaux,
Courant par monts et par vaux,
La Vilaine !
Près des coursiers haletants
La pauvre alla bien longtemps
Jusqu'aux collines du Maine ;
S'écria, morte à moitié :
"Seigneur ! prenez en pitié
La Vilaine"!
Et l'ingrat, riant bien fort,
Jette une des pièces d'or
Dont son escarcelle est pleine ;
Puis il disparaît soudain
Laissant au bord du chemin
La Vilaine !
L'enfant, voyant son amour
Disparaître sans retour,
Sanglotait à perdre haleine
Tant, que son cœur se fendit...
Et c'est ainsi que partit
La Vilaine !
Aux lieux où l'enfant pleura
Une source se montra
Dont elle fut la marraine :
La rivière qui coula
Depuis ce jour s'appela
"La Vilaine"'.