Le camp des Russes est à trois cents mètres du nôtre.
Notre passe-temps, cet été-là, ce fut de regarder enterrer les Russes.
Un travail très monotone.
Traîner la charrette pleine de morts.
En tirer les morts.
Jeter les morts dans la fosse.
Recommencer.
Toute la journée comme ça.
Toute la journée à remuer du mort.
Dans cette plaine de soleil et de sable.
Toute la journée à balader cette charrette déglinguée entre le camp et la fosse.
Les vivants qui faisaient cela n'étaient pas beaucoup plus vivants que leurs morts :
Juste la vie qu'il faut pour marcher,
Pour pousser une peu,
Pour tirer une peu.
Des hommes sans regard.
Des hommes sans poids.
Absents de tout.
Et pour les garder, les morts et les presque morts,
Deux sentinelles sifflotantes.
Deux gars qui s'en foutaient.
Faire ça ou autre chose.
Ils se disent que tout compte fait on n'est pas plus mal là qu'au front.
Là, dans le sable et le soleil.
De temps en temps ils gueulaient des menaces.
Ils flanquaient quelques coups de croisse au petit bonheur.
Pas méchamment, plutôt parce que c'est ça,
Leur boulot.
Et parce que quand même il fait bon vivre.
D'ailleurs,
Les injures et les coups,
Ça ne les atteint pas,
Les Russes.
Ils sont comme ça.
Les russes, on se demande bien ce qui pourrait encore les atteindre.
Ils font leurs pas.
Ils font leurs gestes.
Mais ils ne sont plus de ce côté-là des choses.
Ils flottent avec une lenteur surnaturelle dans un univers spectral.
Et c'est eux,
Ces vivants,
Qui font qu'on pense à la mort.
Pas les morts.
Les morts sont tell’ment morts qu'ils appartiennent déjà au monde de la pierre, du bois.
On se dit que c'est lourd,
Que c'est froid,
On n’ se dit pas que c'est de l'homme.
Et puis il y en a trop, des morts.
Un cadavre, ça va.
Devant un cadavre inconnu,
On rêve,
On se répète de vieux mots.
Mais quand c'est des morts par pleines charretées,
Par pleines fosses,
Et toute la journée,
Et pendant des jours et des jours,
Alors il n'y a plus pour cela de mots ni d'idées.
On n’ peut plus que regarder.
Des morts tout nus,
Blancs,
Avec leur tête démanchée,
Leurs bras disloqués qui pendent.
Des morts enchevêtrés,
Et c'était toute une affaire que de les démêler,
De les déboîter les uns des autres.
Et puis on les mettait sur un brancard.
Leurs bras balançaient de chaque côté.
Des morts si maigres,
À n'y pas croire.
Les uns tachés de sang noir,
Ceux que les Allemands avaient tués à la mitrailleuse. Les autres barbouillés d'excréments :
Ceux qui étaient morts de la dysenterie.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Les vivants avançaient à pas de somnambule.
Ils paraissaient se mouvoir dans une substance invisible,
Affreusement épaisse et pesante.
Vos commentaires
Aucun commentaire pour le moment