12 Février 1899 : Londres, Grande-Bretagne
La météo à Londres semble être devenue de plus en plus terrible, les eaux du Thames sont plus troubles que jamais et le Tower Bridge ouvre ses mâchoires béantes d'une façon abominable. Même le chant des oiseaux du Hyde Park est inquiétant, d'une trille monotone, comme s'il semblait invoquer une divinité ineffable qui aurait peuplé les civilisations d'antan. Quelque chose se déplace dans les profondeurs de la terre, et les tremblements que cela transmet sont en harmonie avec la santé et la rationalité du monde éveillé.
Toutefois, les londoniens parcourant la Aldwich Street, sous ma fenêtre, ont l'air heureux, car ils ne savent pas que je les observe, ils ignorent tout de ce que je sais, ils ne savent pas que le monde a changé. Car chaque jour, cette conversion transforme les limites de la prudence et de la raison en formes fanées de la folie absolue.
Permettez-moi de me présenter : Je suis Charles Donnelly, dernier représentant des Donnelleys d'Oxford et il y a à peine trois ans, j'étais un inestimable savant de l'Université de ma ville ancestrale. Ce que je m'apprête à vous raconter relève du secret absolu, car l'homme moyen serait sans doute pris de terreur s'il avait connaissance de ce récit ineffable. Bien que ce soit une histoire qui a commencé des siècles avant que l'humanité ne pose son pied sur la terre, je commencerai à vous raconter là où mon rôle a débuté ; Dans cette même ville, un soir de décembre dans l'An de Grâce 1884.
La grande rue Russel Street était recouverte d'un grand manteau de neige qui craquait sous mes pas. Devant moi se tenait la façade archaïque du British Museum. La montre à gousset dans ma main m'a atrocement informé que j'avais de grand retard, et c'est donc avec un rythme accru que je me suis dirigé au pied de la porte principale, avant d'entrer dans la salle inspirée du style Greco-romain.
L'étrange lettre que j'ai reçu il y a trois jours de la part du Directeur du Musée, Mr. Thomas Bramwell, m'est revenu à l'esprit. Il y avait un ton d'urgence dans cette lettre, et son contenu secret m'avait énormément intrigué ces derniers jours. J'ai gravi les escaliers à ma droite et je n'ai pas tardé à me tenir devant une porte en bois sur laquelle j'ai frappé à plusieurs reprises. Je fus rapidement reçu par Mr. Bramwell lui-même, mais il n'y avait pas le conseil administratif dans son bureau contrairement à ce que je m'attendais. Toutefois, il y avait une silhouette ténébreuse à la barbe blanche au coin de la cheminée grésillante.
"Je vois que tu es en retard, comme toujours ?" demanda l'homme ténébreux avant de se retourner et de me dévoiler un visage effectivement très familier, et pendant un bref moment, j'en ai perdu mon souffle. "Par la grâce de Dieu, Henry Winterborough ?"
J'a crié d'une bien curieuse manière. "Tout le monde pensait que vous aviez péri avec l'expédition sur Thèbes il y a six mois ...?" Je fus alors interrompu par un rire méphistophélique qui me semblait bien familier, même si je pouvais y comprendre une légère nuance d'amusement condescendant. "Cher collègue" reprit-il avec un certain sourire "laissez-moi vous dire que l'expédition fut quelque peu... prolongée. Malheureusement, ou peut-être heureusement, je n'ai aucun souvenir des événements qui ont eu raison des autres membres de l'expédition. Vraiment, je ne me souviens de rien entre notre excursion vers la tombe en dehors de Thèbes et le moment où je me suis réveillé totalement déshydraté dans un hôpital. Deux jours après une récupération rapide, en fouillant dans mes affaires j'ai pu trouver quelque chose de vraiment remarquable, une antiquité de conséquence déconcertante." Il fait une courte pause. "C'est la raison pour laquelle je me suis plongé pendant plus de six mois dans traditions obscures d'Alexandrie, et c'est aussi la raison pour laquelle vous êtes là ce soir, Charles."
"Vous voulez dire que vous avez passé six mois en Egypte sans..." Je fus une nouvelle fois coupé. "Nous n'avons pas de temps pour les bavardages, mon ami, dites-moi, quelles connaissances avez-vous des similitudes entre les anciennes structures du monde, telle que..." Cette pause était intentionnelle ; son sourire enthousiaste m'a fait souvenir sa découverte dans la librairie d'Oxford l'année précédente, l'énigmatique Livre des Ombres.
"...la pyramide du Soleil de Teotihuacan et la pyramide de Khéops par exemple ?"
"J'en sais plus qu'assez sur ces structures pour être tout à fait certain qu'il ne pourrait y avoir aucun lien entre elles ; autant géographiquement que temporellement." Répondis-je avec un ton légèrement offensé.
"J'espère que tu n'es pas offensé mon cher Donnelly, mais il semble simplement que ta Perspective soit limité ; les distances dans le continuum Espace-temps sont facilement exagérées aux yeux de l'homme, et des modèles évidents sont masqués par notre esprit sélectif." Il inspire profondément comme s'il préparait un long monologue. "Une simple corrélation comme les pyramides déjà mentionnées est un petit exemple. Prenons les proportions de la base de la pyramide du Soleil et comparons-les à celles de la pyramide de Khéops, et vous découvrirez que la pyramide égyptienne est infiniment plus petite. Comme tu le sais bien, la pyramide de Khéops était jadis recouverte d'un calcaire poli, et ajouté à cela, tu as une interrelation si précise que tout hasard doit être rationnellement exclu, n'es-tu pas d'accord ?" Winterborough a triomphé de tout son être, mais il avait une expression qu'il dissimulait assez mal lorsqu'il abordait ce sujet. Je ne pouvais qu'admettre les faits. "Je peux voir que tu suspectes bien plus que ces connections dimensionnelles, et il y a vraiment une vaste collection de telles similitudes. Mais laisse-moi me tenir à ce qui est le plus important. Si je te dis que les proportions de la Cathédrale de Chartres coïncide avec précision avec celles de la pyramide de Khéops, pas par la base, mais dans presque chaque angle et mesure exprimés dans cette merveille architecturale conçue ambrosialement ?"
A ce stade, je sentais que je devais encore être en désaccord. "La Cathédrale de Chartres est presque moderne, Henry ! Pour quelle raison ces relations transcendantes pourraient exister ?" Winterborough se leva encore d'excitation.
"Je sais qu'en tant que mathématicien tu as eu un certain intérêt pour la Cathédrale de Chartres, et tu connais très bien ses mystères ; c'est la première cathédrale à être construite au style gothique, pourtant personne ne sait qui l'a conçue, et personne ne sait d'où est venue l'idée architecturale." Je fus soudainement pris par la sensation que l'un des plus grands mystères que j'ai étudié était sur le point d'être enfin expliqué.
"Tout a commencé en 1118, lorsque Bernard de Clairvaux a persuadé neuf grands chevaliers d'abandonner leurs biens matériels et de voyager jusqu'à Jérusalem afin d'obtenir les grandes reliques et trésors sous les ruines archaïques du temple de Salomon. Ce groupe de chevaliers, et je suis sûr que tu as deviné, sont connus sous le nom de Templiers. Ils ont passé plus de dix ans en Terre Sainte, et leur retour en France fut aussi mystifiant que leur départ."
Je pouvais sentir le battement de mon cœur s'accélérer à cause de mon excitation, mais je ne m'étais pas préparé à ce que le professeur était sur le point de me révéler.
"Toutefois, peu après leur retour la construction de la Cathédrale de Chartres avait commencé et chaque angle, chaque ligne et chaque axe fut désigné..."
Sans hésitation, Winterborough sort un morceau d'un exorbitant parchemin ancien protégé par une vitrine "...selon ceci", conclut-il.
"Ce que je tiens dans ma main est l'ensemble de la connaissance humaine au sujet des proportions, du poids et de la masse." Sa voix monta au point culminant. "Charles Donnely, voici le parchemin de la Géométrie Divine, d'abord mentionné sur les anciens murs du temple de Horus à Karnak, et plus tard évoqué par Herodotus et même Tacitus!" Je ne savais quoi dire ni quoi penser.
"Ce que les Templiers ont trouvé sous les ruines du temple de Salomon n'est rien de moins que l'Arche d'Alliance elle-même, et ainsi que les Dix Commandements, puis ceci " Le professeur leva le document primitif comme s'il venait de remporter un prix au carnaval, et lâcha un sourire triomphant à Mr. Bramwell qui était resté silencieux pendant la conversation.
"Mon cher Winterborough, il semblerait que tu souhaites t'embarquer dans la quête du Saint Graal !" Remarquais-je. "C'est d'une importance infiniment plus grande qu'une simple coupe moisie, mon vieil ami. Laisse-moi t'expliquer : Comme décrit dans ce parchemin, la Cathédrale de Chartres est la troisième clé des quatre nécessaires pour ouvrir et découvrir un secret si ésotérique qu'il pourrait transformer éternellement le regard qu'a l'humanité sur sa propre histoire. Les pyramides de Gizeh et Teotihuacan sont les deux premières clés."
"Et que pourrait être ce secret ?" demandais-je avec une voix particulièrement irritée "Nous devons trouver l'origine de ce document Charles ; la civilisation qui a créé les lois définissant tout ce que l'humanité a jamais conçu. Mais d'abord, nous devons voyager là où se situe la quatrième clé, car sa corrélation semble se situer dans les grandes profondeurs, là où aucun œil ne peut la détecter. Et c'est pour cela que nous avons besoin de tes compétences mathématiques. Mon ami, j'espère que tu es bien préparé, car demain nous partons pour le Cambodge, afin d'ouvrir l'arcane et de percer à jour les mystères d'Angkor Wat !"
Je ne pouvais rien faire à part m'émerveiller de l'aventure qui nous attendait. Mais la sensation initiale que j'ai eu lorsque j'ai vu Winterborough m'est soudainement revenue, et il répéta une expression Démoniaque qui semblait assez familière, même assez étrangère à sa personnalité...
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