Je suis,
Enfermé, à l'étroit dans ma cellule,
Tous les jours le même café mais c'est le temps qui est soluble.
Ces bonnes actions que l'on regrette,
Ces erreurs que l'on refait,
Au parloir je parle autant, à mon fils qu'à mon reflet.
Je suis,
Gelé, j'enchaîne les verres et les hivers,
Pour se rassurer les passants doivent tous penser que l'on hiberne,
Bercé par le son des pas, et le bruit des pièces dans les poches,
Entre ce type et mon chien, je me demande de qui j'suis le plus proche.
Je suis, riche ils veulent me faire croire que c'est une honte,
Comme si j'étais responsable de toute la misère du monde,
Moi j'dois rien à personne, même si l'argent vient à manquer
Ils veulent tous goûter au fruit de l'arbre que j'ai planté.
Je suis,
Malade, mais j'préfère dire "futur soigné",
Mes pupilles fixent l'aiguille d'la montre qui brille sur mon poignet,
A l'étroit dans mon corps, j'regarde le monde par le trou d'la serrure,
Les gens diront que j'n'ai fait qu'agrandir celui de la Sécu.
Je suis,
Croyant, on me reproche souvent de l'être,
On me reproche ma barbe pourtant j'ai la même que Jean Jaurès,
On me compare à des barbares, auxquels je n'ai jamais cru,
Les mosquées sont trop petites alors parfois j'prie dans la rue.
Je suis,
Un peu perdu, mes p'tits poumons se remplissent d'air,
Nouveau venu sur terre mes premières larmes déclenchent celles de mon père,
Une chance, auprès d'ma famille j'me sens à ma place,
Mais je n'oublie pas qu'j'aurai pu naître dans la chambre d'en face.
Je suis,
Seul au fond d'un couloir, on m'demande pas mon avis,
J'ai pris de l'âge, donc voilà, j'ai bien plus de rides que d'amis,
J'aimerais partager mes erreurs, vous faire part de mes doutes,
Parfois j'me parle à moi même pour être sûr que quelqu'un m'écoute.
Je suis,
Épuisé, mais plus pour longtemps j'en suis sûr,
Les sonneries d'téléphone, la pression élargit mes blessures,
J'me souviens pas d'la date de mon dernier fou rire,
Je suis un homme, bientôt je serais un souvenir.
Je suis,
Enfin là, cette terre n'est plus un mirage,
Je suis, arrivé par bateau, mais surtout par miracle,
Une nouvelle vie m'attend ici, bien plus calme et plus stable,
Ce matin, j'ai écrit tout va bien au dos d'la carte postale.
Je suis,
Fier, mais comment vous décrire tout c'que j'ressens,
Quand je marche en ville de moins en moins de gens me ressemblent,
Dans l'ascenseur, j'parle même plus la langue de ma voisine,
A force de planter des arbres, y'aura plus d'place pour nos racines.
Je suis,
Fatigué, mal au dos et mal aux reins,
Les rides sur mon visage, me rappellent les montagnes de là où j'viens.
On m'a menti, mais c'est trop tard que je l'ai compris,
On dit qu'ce pays n'est pas le mien, alors qu'c'est moi qui l'ai construit.
Je suis,
Assis et le destin a fait que j'me relèverais jamais,
Dans cet océan j'ai l'impression d'avoir toujours ramé,
Un casse-tête pour monter dans l'bus, allez au taf passer leurs portes
Souvent les gens m'regardent et me répondent que c'est pas de leur faute.
Je suis,
Heureux, jeune diplômé, esprit bétonné,
J'ai étonné, ceux qui rêvaient d'me voir abandonné,
Ma famille est loin d'ici, j'espère que là-bas ils sont fiers,
Je viens d'gagner le combat qu'avait commencer ma mère.
Je suis,
Confiante, j'regarde ma classe un peu trop pleine pour moi,
Et j'leur tiendrais la main jusqu'à c'que la réussite leur ouvre les bras,
J'ai compris que parfois, les adultes sont paumés,
Parce que les plus grande leçons c'est eux qui m'les ont donné.
Je suis,
Énervé, dans mon quartier on s'ennuie loin d'la ville,
On écrit, on prie, on crie et j'ai des amis qui dealent,
Mon grand frère est au chômage, mon pote se fait 5000 par mois,
Au collège c'est le bordel, bientôt j'devrais faire un choix.
Je suis loin,
C'qui s'passe chez moi n'intéresse pas grand monde,
Pour les autres on vit un rêve, pourtant souvent on tourne en rond,
Tout est cher, avec le continent y'a comme une latence.
Les palmiers, la plage mais moi j'suis pas en vacances.
Je suis,
Discrète, mon père m'a dit de ne pas faire de vagues,
Ma religion un phare, guidant mes pas depuis que j'ai mis les voiles,
C'est drôle qu'il me surveille, et qu'il fasse tout pour,
Me donner une leçon en m'empêchant d'aller en cours.
Je suis,
Inquiet envers ma foi, beaucoup d'regards hautains,
J'reçois des leçons par des types qui ne font rien pour leur prochain,
L'humanité n'a plus d'cœur, j'vois le monde qui tourne et qui change,
Et je suis triste de voir qu'il y a de moins en moins de gens le dimanche.
Je suis,
Amoureux, et je vois pas qui ça regarde,
A part moi et celui avec qui j'partage mon lit le soir,
Je l'aime, on slalome entre les insultes et les blagues,
Dire qu'y a peu de temps j'n'avais pas l'droit de lui offrir une bague.
Je suis,
Oublié, mes fins de mois se font sur l'fil,
C'est devenu rare d'aller au resto ou d'aller voir un film,
Je n'suis qu'un chiffre, qu'un vote, qu'une statistique, un point d'plus dans la foule,
Moi j'suis juste né ici et j'ai l'impression qu'tout l'monde s'en fout.
Je suis,
Un rendez-vous, un hasard,
Un match de foot, un mariage,
Une manif, un anniv,
Une accolade, une bagarre,
Une scène de crime, un jugement,
Un gosse qui rit, une erreur,
Une montagne enneigée, je suis la pointe d'la plume d'un auteur,
Je suis les pleurs d'un départ,
Je suis la chaleur des bars,
Je suis une saveur 5 étoiles, ou bien le gras d'un kebab,
Les flemmards, les couche-tard, les lève-tôt,
Les râleurs, les regards dans l'métro,
Un oncle raciste, un concert vide,
La crise, la déprime qui ressert l'étau,
Je suis l'excellence, l'élégance,
Ou l'espérance d'une naissance,
Ces campagnes dans l'silence,
Ces grandes villes immenses si denses,
Je suis, un peu de moi et beaucoup des autres quand j'y pense,
Je suis, la France.
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